April 11, 2009

L’expropriation d’AbitibiBowater à Terre-Neuve : une réponse politique à la crise de l’industrie forestière.

Version modifiée d'un article paru dans la revue
Relations, no.732, mai 2009.

Le 4 décembre dernier, la forestière AbitibiBowater faisait l’annonce de la fermeture définitive de l’usine de papier de Grand Falls-Windsor à Terre-Neuve, une fermeture qui entraînait la mise à pied de 750 travailleurs dans une ville dépendant essentiellement des activités de la compagnie. Devenue monnaie courante dans une industrie dont le mode de développement est devenu insoutenable, ce genre de mauvaise nouvelle n’aurait sans doute pas attiré autant l’attention si une réaction politique n'avait suivi deux semaines plus tard : le 16 décembre, en effet, le premier ministre de Terre-Neuve-et-Labrador, Danny Williams, faisait adopter une loi menant à l’expropriation de tous les actifs détenus par AbitibiBowater dans la province, à l’exception de l’usine visée par la fermeture. En fait, ce sont les droits de coupe dans les forêts publiques, mais surtout les barrages hydro-électriques alimentant l’usine qui faisaient l'objet d'une réappropriation collective par la voie législative.

Bien que cette mesure, à laquelle des années de libéralisme économique et politique nous ont déshabitué, a valu au premier ministre terre-neuvien de voir confirmer son surnom de « Danny Chavez », elle n'avait pourtant rien de bien « révolutionnaire ». En effet, en vertu d'une entente contractuelle conclue en 1905 entre le gouvernement de Terre-Neuve et l’Anglo-Newfoundland Development Company, le prédécesseur d'AbitibiBowater, l'octroi à la forestière de droits de coupe et de harnachement de rivières était explicitement assorti de l'obligation pour elle d'opérer au moins une unité de production dans la province. À Terre-Neuve comme au Québec, on le sait, l’essor historique du secteur manufacturier a principalement reposé sur une stratégie de développement couplant usine et barrage, l’internalisation des coûts d’électricité pour la production constituant pour les compagnies un avantage comparatif à l’échelle continentale.C’est ainsi qu’en annonçant la fermeture de Grand Falls-Windsor, dernière usine gérée par AbitibiBowater à Terre-Neuve, la forestière venait de mettre légalement un terme à ses engagements économiques ainsi qu’à l’entente, ce qui, du coup, éteignait ses droits sur l’exploitation de la forêt et de l’eau. « No paper, no power » a ainsi réaffirmé le gouvernement terre-neuvien, déterminé à conserver sa souveraineté sur ses ressources naturelles.

Or, cette réaction n’était manifestement pas prévue par AbitibiBowater, pour qui la fermeture s’inscrivait dans une stratégie de stabilisation de sa situation financière. Frappée de plein fouet par une crise de l’industrie que son modèle d’affaire a contribué à générer, AbitibiBowater s’est récemment retrouvée confrontée à des problèmes majeurs de liquidité et de solvabilité. Avec des bénéfices en forte baisse et une dette de 6,2 milliards $ - dont une tranche de 1 milliard $ doit être remboursée d’ici la fin de l’été, la corporation a décidé de fermer des usines afin de réduire ses coûts d’opération, et de se départir de ses actifs les plus « appréciés » par les marchés afin de pouvoir dégager de nouvelles liquidités. Pour elle, la fermeture de l’usine de Grand Falls-Windsor correspondait ainsi à faire une pierre deux coups : procéder à des économies de coûts fixes (salaires et machinerie du complexe industriel) et, surtout, tirer le maximum de profits de la vente des installations hydro-électriques attenantes à cette usine. La valeur des actifs circulant dans le marché nord-américain de l’énergie ayant littéralement explosée en quelques années, AbitibiBowater a vu dans cette filière une voie de sortie de crise financière, quitte à rompre le tandem usine - barrage qui avait jadis fait sa fortune mais qui aujourd’hui représentait un boulet. Or, c’est précisément au nom des possibilités que présente cette formule pour le développement économique de son territoire que la législature terre-neuvienne a coupé court au projet de mise aux enchères des barrages en les expropriant.

Confrontée à ce qui lui est apparue comme un dangereux précédent, AbitibiBowater a déclaré que cette expropriation contrevenait à ses droits d’investisseur, et a décidé de recourir aux dispositions du chapitre 11 de l’ALÉNA pour soutirer une indemnité financière du gouvernement canadien. La procédure est maintenant enclenchée, et c’est le gouvernement Harper qui devra aller plaider la cause de Terre-Neuve devant le tribunal de l’ALENA, qui a la charge de juger de la validité des doléances d’AbitibiBowater et de déterminer, le cas échéant, la hauteur de l’indemnité à verser.

Pendant ce temps, la forestière a signalé son intention de vendre plusieurs autres de ses barrages en Ontario et au Québec. Les travailleurs des usines avoisinant ces installations ont évidemment raison de s’inquiéter, dans la mesure où la vente de ces actifs signifierait la fin d’un approvisionnement en électricité à bas coût, et donc aussi la fin des « avantages comparatifs » des unités productives du Québec. D’autant plus qu’AbitibiBowater devra composer avec des puissances financières que ses difficultés ont attiré comme des mouches vers le fumier : au mois de février, le fonds d'investissement américain Steelhead Partners est devenu l’actionnaire majoritaire d’AbitibiBowater en haussant sa position à 15 % des titres détenus. Comme tous les fonds de ce type, le but de cet actionnaire sera de maximiser la valeur financière de la compagnie en recourant à tous les moyens envisageables à court terme, notamment en exerçant des pressions supplémentaires pour que la compagnie restructure, démantèle ou liquide une grande part de ses actifs. D’autres fermetures sont donc à prévoir. La crise sera longue et douloureuse. Ce que l’exemple de Terre-Neuve a montré, c’est que le démantèlement de ce modèle de développement de l’industrie forestière peut être une occasion de « re-nationalisation » des actifs, d’abord au profit des communautés rurales. En cela, c’est bien d’une voie politique de sortie de crise qu’il s’agit, ayant l’avantage de redonner à la société une emprise réfléchie sur son milieu de vie, une voie qui est cependant porteuse d’affrontements à venir avec les classes d’affaires nord-américaines.

March 9, 2009

Les mystères de la vie du ...... teneur de marché

Le billet ci-bas fut posté sur le blogue du Forum des économistes progresssistes en réaction au propos d'Henri Paul Rousseau devant la chambre de commerce de Montréal. S'il accepte le fardeau des pertes historiques de la Caisse, l'ex-dirigeant se permet tout de même d'invoquer des forces au-delà de son contrôle pour expliquer l'ampleur du dégât en 2008. Pourtant la question de l'importance des placements de la Caisse en PCAA non bancaire - au point où celle-ci détenait près de la moitié de ces titres en circulation au Canada - demeure pour lui un "mystères de la vie". J'ai tenté d'expliquer à mes camarades progressistes du ROC comment ici on peut parfois nous prendre pour des imbéciles et s'en tirer tellement bien que l'on peut ajouter l'insulte à l'injure.

The political crisis around the Caisse’s dismal performance continues to haunt the political scene in Québec. Urged to explain how up to 40 billion dollars might have been lost during his management Caisse ex-director Henri Paul Rousseau largely blamed the economic and financial crisis, factors beyond his control. Asked why and how the Caisse ended up with so much ABCP in its books in the weeks leading up to the credit crunch (more than half of non bank ABCP) Rousseau replied that it remains “one of the mysteries of life”.

Some mysteries are more easily solved then others.

When Rousseau was called to the helm of the Caisse by PQ Prime minister Bernard Landry (and self-styled third way social democrat) he explicitly underscored his desire to change the Caisse’s dual mandate from the active pursuit of economic development and financial returns to a new mandate inspired by financial market efficiency theory: what’s good for financial markets must be good for economic development. Armed with this new mantra Rousseau asked that the Caisse’s operations and investment decisions be “neutralised” politically and that the mandate to develop Québec’s economy and protect “Québec INC’s interests” be scrapped. It took a provincial election and the rise to power of the (neo) liberal party of Jean Charest for the mandate to be changed. Progressives and left wing nationalists have argued since that the Caisse has not only deserted Québec’s economy as a major investor, but that it has tacitly supported neoliberal policies such as P3’s.

What does this have to do with ABCP ? I’ve argued in the francophone press (an op-ed piece in the Devoir) and media that in fact the Caisse did have a new mandate of economic “development”. Given it’s size in Québec’s economy and in Canada’s financial system, a decision to limit the Caisse’s investment strategy to the pursuit of highest possible financial returns condemned the Caisse to develop Canada’s …. financial markets. The Caisse owned at least a 10% stake in Coventry, a major provider of non bank ABCP, it also controlled the Montreal exchange, who’s derivative activity is intimately tied to the development of non bank ABCP, and it works closely with National Bank, a major reseller and broker in the non bank ABCP market in Canada back in the good old days when these constructs where assimilated to highly liquid, highly secure, highly profitable “money market” instruments. All the evidence I’ve stumbled on seems to point to the Caisse acting as “market maker” in this situation, why ? Because developing this new segment was highly profitable in a context of low returns on stock, because it supported the Montreal exchange’s bid to become an important player in the derivatives scene, because it dovetailed with the National bank’s strategy, and on the whole the Caisse seemed, back then, to help Montreal’s insignificant financial district become a significant player again.

Progressives in Québec are arguing that in times of economic crisis and crunched credit markets the Caisse should be available as policy tool to help our beleaguered manufacturing sector weather the storm and more importantly lead with a public investment strategy our economy towards a greener and more socially sustainable growth. Instead the current government is thinking of having the Caisse finance P3’s that the private sector can’t fund... more of the same to come ?

March 8, 2009

La nouvelle Tembec : la fin d’un « modèle » québécois

Version modifiée d'un article paru dans le journal
Le Mouton Noir, nov.-déc. 2008.

Il y a maintenant un an, la forestière Tembec annonçait le bouclage d’un important plan de recapitalisation, plan qui consistait en une réorganisation de la structure financière de la compagnie afin « de garantir le maintien de ses opérations et d’améliorer sa valeur à long terme ». Aux yeux des analystes financiers, l’importante dette que Tembec avait cumulée à partir des années 1990, combinée à des perspectives de marché peu encourageantes, plombait le bilan de la compagnie et la gardait « au fond de la cour » : le titre de la compagnie, ayant été transigé à près de 18 $ en 2000, flirtait désormais avec les titres de pacotille, et le rétrécissement de ses marges d’exploitation rendait chaque jour plus imminente une crise de solvabilité et plus pénible le refinancement de ses emprunts. C’est pourquoi ce plan de recapitalisation a d’abord visé cet élément de la structure financière : c’est en effet la conversion d’une tranche de 1,2 milliard $ US de la dette de la compagnie en actions qui a été réalisée en février 2008. Au terme de cette transaction, ce sont 95 % des actions de la « nouvelle » compagnie qui allaient tomber dans le portefeuille de ses créanciers, les 5 % restants étant répartis proportionnellement entre tous les actionnaires précédents. La haute direction de la compagnie a présenté cette transaction comme une affaire technique, concernant essentiellement la structure du capital de la compagnie.

Or, plus qu’une simple manœuvre comptable, ce plan de redressement financier a sonné rien de moins que la fin d’un modèle d’entreprise et a initié de profonds changements au sein de Tembec, changements auxquels nous avons pu assister ces derniers mois. En effet, cette opération financière de conversion de la dette en titres de propriété a signifié que les créanciers américains auprès desquels Tembec avait contracté d’importants emprunts ces dernières années sont devenus, par la réversibilité des opérations d’ingénierie financière, les nouveaux actionnaires majoritaires de la compagnie. Cette opération a été majeure pour au moins deux raisons.

D’abord, parce que Tembec a longtemps été citée comme un « modèle » québécois de co-gestion d’entreprise, un modèle qui reposait sur la participation des employés au capital et à l’administration de certains aspects économiques de la firme. On se souviendra qu’après sa fermeture en 1972 par la multinationale CIP, l’usine de Témiscaming avait été rachetée par une partie de ses cadres et travailleurs, ce qui assurait en quelque sorte l’ancrage de l’entreprise dans la communauté. Cette originalité, qui s’était cependant atténuée au fil des ans, a été définitivement enterrée avec cette opération de recapitalisation, qui a fait passer le contrôle québécois du capital de Tembec entre les mains de la haute finance américaine. Même l’ancien p.d.-g. Frank Dottori et son ami Emmanuele Saputo, principal actionnaire de la compagnie avant l’entrée en vigueur du plan, se sont publiquement opposés à la transaction. Dans son édition du 20 décembre 2007, Le Devoir relatait en effet la réaction de Dottori à ce plan, qui était encore au stade de projet : « Je ne suis pas d’accord avec le fait de donner la compagnie à des investisseurs américains et de tasser, peu importe comment on le présente, des actionnaires-employés et des gens qui ont passé 20 ou 30 ans à bâtir l’entreprise... J’ai beaucoup de difficulté à accepter ça ». Deux semaines avant que Dottori ne tienne ces propos, Emanuele Saputo démissionnait de son poste au c.a. de Tembec et présentait un plan de refinancement « alternatif » à celui qu’avait conseillé BMO Marchés des capitaux à l’équipe de James Lopez, le nouveau p.d.-g. de Tembec. Cette alternative a cependant été rejetée, le haut management de la compagnie ayant manifestement décidé de saisir l’occasion offerte par ce plan pour refonder une nouvelle Tembec, en rupture avec l’héritage des années Dottori que cherchait à conserver l'offre de Saputo.

Il faut comprendre que ce plan de recapitalisation est important pour une seconde raison, corollaire à la première, soit qu'il a inauguré le début d’un nouveau modèle d’entreprise chez Tembec, un modèle basé sur la restructuration continue de ses activités productives. En effet, les nouveaux actionnaires de la nouvelle Tembec, au moment du bouclage de ce plan, n’étaient nul autres que trois fonds d’investissement spéculatifs américains – Wayzata Investment Partners, Bear Sterns Asset Management et Trilogy Capital – qui sont reconnus pour leur capacité à impulser des transformations majeures au sein de la direction des entreprises contrôlées. Faisant dans le hedge fund et le private equity, deux stratégies de gestion d’entreprise fondées sur l’augmentation substantielle des rendements financiers de la compagnie, ces trois nouveaux actionnaires font partie de la constellation des puissantes organisations financières qui se montrent très « pro-actives » face aux orientations des entreprises qu’elles détiennent. Cela signifie qu’ils n’ont probablement rien négligé pour que les décisions stratégiques prises par l’exécutif de Tembec soient conformes à leurs intérêts supérieurs de money managers, c’est-à-dire à la nécessité de maximiser les liquidités disponibles (par l’augmentation des flux de trésorerie et des marges d’exploitation), et de maintenir une bonne note de solvabilité de la forestière auprès des analystes financiers. Tembec est devenue pour ces organisations financières un « actif » parmi d’autres dans leur portefeuille de titres, un actif qui doit conserver une cote appréciable pour être éventuellement liquidé sur le marché.

Évidemment, parmi tous les moyens mis à la disposition de la direction pour satisfaire ces attentes et envoyer des signaux positifs à la communauté des observateurs financiers, les restructurations, les fermetures d'usines et la vente d’actifs ont constitué les moyens les plus simples en même temps que les plus efficaces. Dans le contexte actuel de la crise que traversent les majors de l’industrie forestière, l’arrivée de ces acteurs financiers à la tête de Tembec a coïncidé avec l’accroissement des rationalisations dont les bénéfices ont été, pour l’essentiel, canalisés vers les interfaces financières de la compagnie. Il se trouve en effet que la nouvelle Tembec, plutôt que de chercher à mitiger les effets de la crise de l’industrie sur les communautés au sein desquelles elle opère, a recouru à ces moyens « classiques » pour améliorer la liquidité de la compagnie : depuis l’entrée en vigueur du plan de recapitalisation il y a un an, les annonces de fermeture se sont bousculées, de l’usine flambant neuve d’Amos fermée en septembre dernier, à l’arrêt indéfini des opérations de l’usine de pâte de feuillus de Matane, en passant par les installations nec plus ultra de Pine Falls au Manitoba, appartenant à ses employés il n’y a pas si longtemps encore.
Par delà le fait que la situation financière de Tembec se soit (un peu) améliorée avec la recapitalisation, soulageant la corporation d’une dette dont les coûts de financement étaient devenus exorbitants, il semble que ce coup de barre aie aussi visé à habituer à des pratiques désormais « standards » chez Tembec : appliquée à un moment décisif de l'histoire de la compagnie, la médecine de choc administrée depuis quelques mois est probablement le signe le plus manifeste que le modèle partenarial développé depuis les années 1970 fera désormais place à des stratégies de gestion « collant » au plus près aux conventions produites par le marché, un marché maintenant structuré par de nouveaux acteurs financiers.

March 5, 2009

Caisse et Bourse de Montréal

Extrait du site du Globe and Mail:

The leadership contest at the beleaguered Caisse de depot et placement du Quebec just got a whole mot more interesting, as the widely respected Luc Bertrand stepped down Thursday as head of the Montreal Exchange.

After nine years at the helm of the successful derivatives exchange, Mr. Bertrand will leave the deputy CEO job at TMX Group in June. He was a candidate for the top job whe the Montreal and Toronto exchanges merged last year, but the board brought in an outsider, Thomas Kloet.

“I now feel that it is a good time for me to move on to other challenges and opportunities,” said Mr. Bertrand in a press release. As a proven manager with international experience, Mr. Bertrand is often mentioned as a candidate for the top job at the Caisse, which is in disarray after losing $40-billion in 2008, and seeing it CEO Richard Guay retire. Mr. Bertrand has declined to comment on whether he would want the job - current Caisse CEO Fernand Perreault is not in the running - and he would certainly have his pick of positions at financial institutions.

But for an executive with an interest in public policy – Mr. Bertrand's undergraduate degree from the University of Ottawa is in political science – the challenge of turning around the Caisse would be enticing.

Other candidates for the top job at the Caisse include Jean-Guy Desjardins, CEO and co-founder of Fiera Capital and TAL Global Investment Management, and Christiane Bergevin, the head of SNC-Lavalin's finance division and a Caisse director. Mr. Desjardins is in his mid-60s.

February 25, 2009

Pertes à la caisse

Dans les suites de l'analyse publiée dans le Devoir et ici sur le blogue, il est à noter que les pertes annoncées par la Caisse aujourd'hui sous estimes fort probablement les rendements négatifs en surévaluant de manière trop optimiste la valeur des PCAA que la caisse détient encore.
Voir cette analyse dans le Report on business.

February 23, 2009

Vente de territoires forestiers par AbitibiBowater : entre liquidité financière et réappropriation de la rente forestière.

Les failles du modèle "classique" de développement économique de la forêt au Québec, un modèle dépendant des structures continentalisées et massifiées des grandes corporations transnationales, ne cessent de s'approfondir, de s'allonger et de rétroagir entre elles. Comme les autres grandes compagnies forestières opérant au Québec et au Canada, AbitibiBowater traverse actuellement une crise de liquidité et de solvabilité, crise qu'elle a elle-même contribué à produire en poussant un modèle de croissance au bout de ses conséquences pratiques. La dernière période de consolidation, initiée en pleine effervescence boursière à partir de la fin des années 1990, a accouché en 2007 d'un Béhémoth nommé AbitibiBowater, incorporé aux États-Unis et piloté depuis Montréal, qui peine aujourd'hui à justifier ses pesanteurs industrielles auprès des acteurs d'un système financier cumulant les dysfonctionnements. AbitibiBowater opère dans un marché de produits forestiers qui s'est effondré, gère des installations industrielles dont les seuils minimum de rentabilité sont évalués à l'échelle globale, et traîne actuellement une dette de 6,2 milliards $, ce qui, n'en doutons-pas, détermine une grande part des discussions lors des business meetings et n'a rien pour rendre sexy la cote de cet éléphant aux yeux des analystes financiers. Cette décote devient très concrète lorsqu'un prêt de 350 millions $ doit être refinancé au mois de mars prochain, et qu'environ 1 milliard $ en prêts doit avoir été remboursé ou refinancé à la fin de l'été qui vient.

Cette crise de solvabilité, qui est le "symptôme" d'une crise du modèle, la haute direction de la compagnie s'efforce actuellement de la gérer en se départissant d'actifs dotés d'une très bonne liquidité. C'est le cas des barrages hydro-électriques que la compagnie compte parmi ses actifs dans au moins trois provinces canadiennes - Québec, Ontario et Terre-Neuve (quoique dans cette dernière, la province en revendique la propriété), mais c'est aussi le cas des territoires forestiers. Si des actifs comme des barrages se vendent actuellement à fort prix sur le marché nord-américain de l'énergie, il en est de même pour les terres forestières, qui constituent une sorte de valeur-refuge en période de crise, et sur la base de laquelle certaines organisations - notamment financières - sont susceptibles d'élaborer une stratégie de capitalisation.

Après avoir annoncé le projet d'une première ronde de vente de barrages au cours des derniers mois, dont des installations ontariennes qui projetaient être vendues au fonds de placement Brookfield Asset Management pour la somme de 200 millions $, AbitibiBowater a indiqué, vendredi le 20 février 2009, qu'elle avait conclu la vente de trois grands territoires forestiers sous aménagement (seigneuries Perthuis en Mauricie, Nicolas Riou et Lac Mitis dans le Bas-St-Laurent) totalisant près de 76 000 hectares. Du coup, la compagnie allait chercher 70 millions $ au comptant supplémentaires, lui permettant d'augmenter ses fonds disponibles pour le refinancement du prêt arrivant à échéance après demain. Un peu d'oxygène, pour le moment.

Avant d'être vendus à Solifor, une société en commandite du Fonds de solidarité de la FTQ, ces lots forestiers avaient fait l'objet d'une proposition d'achat de la part des élus du Bas-St-Laurent. Ayant mobilisé la plupart des leviers financiers régionaux, ces élus ont demandé à ce que le gouvernement du Québec - par le biais de la SGF - s'implique lui aussi dans cette transaction importante, qui aurait permis de mettre sous gestion publique régionale ces "actifs" extraordinaires que sont les seigneuries Nicolas Riou et Lac Mitis. Il se trouve que durant près de 15 ans, ces territoires ont servi de base expérimentale pour le développement d'un modèle alternatif de foresterie, le métayage forestier, modèle encadré par le gouvernement fédéral qui a atteint, voire même dépassé toutes les attentes que l'industrie, les collectivités locales et les gouvernements nourrissaient à son égard. Or, cette expérience, peut-être trop concluante aux yeux de certains, a été arrêtée. Et le projet d'une re-collectivisation des seigneuries, proposé par les MRC de Rimouski-Neigette et de La Mitis, et fort de l'expérience passée du métayage, a été refusé. Offre trop peu intéressante, battue par une autre ? Peut-être. À défaut d'être réencastrés dans le tissu économique de la région, ces lots ont néanmoins été acquis par un fonds québécois, peut-être davantage préoccupé des aspects économiques et écologiques à long terme du développement forestier :

« La crainte que les gens de la région avaient c'est que des territoires en plein milieu de notre région tombent sous intérêts ontariens ou américains. Alors, là, ce sont des Québécois qui ont acquis ces territoires-là. Je ne pense pas que le Fonds de solidarité a l'habitude de laisser dormir ses investissements », a soutenu Richard Savard, responsable du dossier forestier à la Conférence régionale des élus du Bas-Saint-Laurent.

Mais il faudra voir et analyser de près les projets d'affaires avancés par Solifor. Dans le cas de la seigneurie Perthuis en Mauricie, le Fonds de la FTQ s'est lancé dans un joint venture avec la Scierie Dion & fils, une scierie locale. Reste à voir ce qui se passera dans le Bas-du-fleuve, quelle formule sera mise à l'épreuve. Entre le mandat d'un développement économique respectueux des formes de vie, et celui d'un rendement financier supérieur, le Fonds d'investissement de la FTQ reste une organisation financière susceptible de faire des choix contradictoires.

À bien voir l'histoire économique du Québec et du Canada, on remarquera aisément qu'un modèle en crise ne signifie pas pour autant un modèle dépassé ou radicalement transformé. On peut assister à l'émergence d'un modèle rénové, comme cela est le cas au Québec depuis déjà longtemps. Mais cette crise du modèle continentalisé ouvre de nouvelles possibilités pour en faire advenir un nouveau, davantage respectueux de la vie économique et écologique des territoires. La mise en vente de ces lots forestiers, d'une richesse qualitative et d'une valeur à long terme extraordinaire pour la région et le Québec, aurait en effet été une occasion pour les communautés locale, régionale et nationale d'asseoir leurs bases de développement, notamment en élaborant des formules socio-économiques permettant aux collectivités forestières de se réapproprier une grande part de la rente forestière. Disons plutôt, pour tenter de conjurer le retour du même, qu'il s'agit ici d'une répétition générale, et que tout reste ouvert pour une nouvelle économie politique forestière.

February 20, 2009

Il faut fermer le programme de PPP

André Noël de la Presse a révélé hier que l'ampleur des effets de la crise sur les projets de PPP du gouvernement Charest. Le projet du CHUM est particulièrement affecté, les firmes chargées de l'ingénérie financière de chaque consortium connaissent des difficultés financières extrêmes qui pourraient les amener à la faillite. La politique de développement des infrastructures via la formule PPP manifeste ici toute ses limites.
Les projets en infrastructure sont des éléments centraux des politiques de relance, or ici au Québec une partie significative de ces projets ont été enfermé dans le processus PPP. Manifestement, il ne verront pas le jour tant que dure la crise et le resserrement de crédit. Les dépenses que nous devons faire aujourd'hui pour relancer notre économie et en particulier soutenir le secteur de la construction durement touché par la crise ne peuvent pas attendre le redressement du système financier international.
Le gouvernement du Québec devrait être contraint d'adopter les mesures suivantes:

1. la ministre des finances doit répertorier tout les projets de PPP dont le financement ou dont le processus de soumission ne sont pas finalisés.

2. les montants associés à ces projets doivent être soustrait du montant global que la ministre a déclaré en janvier dépenser pour stimuler et relancer l'économie québécoise.

3. une politique de reconversion des projets majeures en PPP vers des projets publics doit être mise sur pied afin que ceux-ci puissent démarrer le plus rapidement possible. Cette politique doit combiner les éléments suivants:
  • intégration dans la gestion sur un mode conventionnel de certains mécanismes de partage du risque entre constructeurs et promoteur public;
  • adoptotion de mécanismes et pratiques de contrôle des coûts et surtout de gestion selon les coût rééls plutôt que selon des chiffres sous-estimés;
  • financement du projet par le biais d'une émission d'obligations publiques vendus en priorité aux investisseurs institutionnels québécois.
4. reviser le mandat de l'Agence des PPP afin d'exclure tout les projets d'une envergure importante ainsi que tout projet dans le domaine des services publics essentiels (santé, éducation, transport), enlever du mandat de l'agence l'objectif de promotion des PPP et le remplacer par un mandat d'évaluation et de vérification des projets en fonction d'un audit financier et social.

February 10, 2009

Bas de laine, pécule pour spéculer ou levier de développement ?

Que faire de la Caisse de dépôt et de placement en un temps de crise?

Texte soumis au Devoir
Perte de 38 milliards, la somme est vertigineuse. Rumeur de mise à pied de 7 des 11 cadres dirigeants de l'institution, la réponse l'est tout autant. Qu'est-ce qui s'est passé à la Caisse de dépôt et de placement du Québec ? En 2004, le gouvernement Charest, réagissant à ce qui était perçu comme de l'ingérence politique dans l'activité de la Caisse et à la mauvaise gouvernance qui en résultait, a revu et corrigé le mandat de l'institution en lui demandant une chose: rendement, rendement et rendement. Le syllogisme de l'efficience des marchés financiers adopté par Henri Paul Rousseau reprenait une idée véhiculée aux État Unis sur GM dans les années '50 : en ces temps là « ce qui était bon pour GM était bon pour l'Amérique ». Ici, ce qui est bon pour les rendements financiers est bon pour le développement économique du Québec.

La Caisse s'est donc lancée tête baissée dans l'innovation financière. De brillants et ambitieux jeunes cerveaux se sont dépassés dans les projets d'ingénierie financière. Toute l'imagination et la créativité de l'organisation furent mobilisées par une culture de l'activité spéculative. Résultats, en 2007, 40% des rendements de la Caisse proviennent de l'arbitrage sur le marché des changes. La Caisse mise gros et gagne suite à sa gageure sur la volatilité de la valeur du dollar canadien sur les marchés à terme. Une volatilité qu'elle contribue, il faut le dire, à provoquer. C'est donc complètement faux de maintenir que la Caisse est un investisseur « patient ». Rien n'est plus court termiste que la spéculation sur le change mais ce n'est qu'un des segments des nouveaux marchés où elle agit. La Caisse, comme beaucoup d'autres fonds, participe activement dans le mouvement de financiarisation de l'économie qui, selon plusieurs, a préparé le terrain à la crise économique actuelle. Il faut rappeler que la Caisse demeure de loin un des plus importants acteurs financiers sur les marchés canadiens. Elle peut, compte tenu de son poids, difficilement empêcher que ses actions deviennent structurantes.

Problème de gouvernance ou nouveau mandat interventionniste ?

Les pertes de 38 milliards sont associées à la participation de la Caisse au marché des PCAA, papier commercial adossé à des actifs. Ce marché était au coeur du mécanisme de titrisation des créances de consommateurs américains et canadiens. Essentiel au maintient de la croissance depuis une décennie, il permit l'expansion de l'endettement des ménages salariés à des niveaux inédits dans l'histoire économique moderne et « l'intoxication » des marchés par les fameux hypothèques subprimes. On associe actuellement les pertes de la Caisse à un problème de gouvernance ». Elle est une fois de plus hantée par le spectre de la mauvaise gestion. Nous croyons plutôt que la Caisse a agit conformément à son nouveau mandat qui finalement s'avère tout aussi interventionniste que son mandat précédent. La Caisse ne joue pas un rôle passif ou secondaire dans le développement du marché des créances titrisées au Canada. Marché qui connaît un essor spectaculaire à partir du milieu des années 1990 et un second souffle à compté de 2004, moment où la Caisse se lance sérieusement dans ce segment des marchés monétaires. (voir à ce sujet le graphique ci-dessus)

Il est important de rappeler qu’en 2007 au Canada, lors de l’éclatement de la crise du crédit qui a mené à la crise économique que nous connaissons, les acteurs du marché du papier commercial se sont retrouvés à Montréal dans les bureaux de la Caisse pour tenter, en vain, de trouver une solution à l'effondrement de ce secteur des marchés financiers et monétaires. La Caisse était perçue par tous les acteurs comme la « « Market Maker » des PCAA, la teneur de marché, l'acheteur en dernier recours. Pourquoi la Caisse est-elle devenue un joueur central au point où presque 25% des PCAA lui appartenait ?

Depuis que la Caisse fait de la recherche de rendements élevés son seul objectif, elle a mis en place, comme plusieurs autres institutions financières, des dispositifs incitatifs internes, essentiellement des primes aux rendements à court terme qui renforcent une culture de la spéculation dans l'organisation. La mesure de rendements dans le milieu financier contemporain est relativement simple. Pour être récompensé, il faut « faire mieux que le marché » (beat the market), que l'on mesure par l'écart positif (ou négatif) du rendement des placements d'un gestionnaire par rapport aux rendement moyen de placements similaires. À très court terme et à l'occasion, une bonne gageure, un bon calcul et l'accès à une information privilégiée permettent de « battre le marché », mais généralement la seule manière de s'écarter systématique du rendement moyen est de jouer sur le niveau de risque du portefeuille. Faire des placements plus risqués rapportent plus à court terme. Mais qu’en est-il du long et à moyen terme ? « J'aurai un boulot ailleurs », peut se dire le gestionnaire habitué de circuler d'une organisation à l'autre. La Caisse, sous Henri-Paul Rousseau, a diversifié ses stratégies de placements et a participé activement à l'innovation financière qui a caractérisé la période qui précéda la crise actuelle. Années après années, elle a « battu le marché » et la honte associée aux ratés de l'investissement plus ou moins rentable dans le Québec Inc et les entrepreneurs proches de la classe politique se sont fait oublier.

L'économie croit au rythme annuel de 2 à 4%, pourtant la Caisse rapporte presque bon an, mal an, un rendement supérieur à 10%. Quel génie ! 2007, le marché boursier stagne, le rendement des portefeuilles des grands investisseurs vacille. Malgré cela, la Caisse maintient le cap des rendements positifs. En 2008, elle se fait prendre à son propre jeu et essuie des pertes massives du marché qu'elle a contribué à mettre sur pied.

Bas de laine ou levier de développement ?

Il faut le rappeler, l'actif de la Caisse représente (pour le moment et à moins de nouvelles annonces désastreuses) 40% du Produit Intérieur Brut du Québec. Il a donc la possibilité de marquer profondément la structure et la dynamique de notre activité économique, comme en témoigne d'ailleurs l'appui de la Caisse au développement du marché de la titrisation au Canada. Ce qui démontre d'ailleurs que la tentative en 2004 de « neutraliser » l'impact politique de la Caisse était un leurre. Cantonner la Caisse dans un mandat de rendements financiers signifiait d’orienter son activité vers le développement d'une sphère financière de plus en plus spéculative, court termiste et vorace de rendements, sans égards à son impact sur l'économie réelle. Il faut d'ailleurs souligner que toute proportion gardée, les pertes associées à cette débâcle font paraître comme dérisoires les pertes associées à l'appui des projets douteux de Québec Inc pendant les années Scraire.

La Caisse dès son origine a été conçu pour être plus qu'un « bas de laine ». Elle est un outil d'intervention par delà les options partisanes, c’est-à-dire un outil de souveraineté économique. Si nous aurions voulu d’un bas de laine, il aurait suffit de mettre en concurrence plusieurs gestionnaires de fonds du Québec et de Bay Street en leur confiant une partie du magot de l'épargne institutionnalisée des Québécois. Le risque aurait été réparti. Des vérificateurs externes et des représentants du gouvernement auraient supervisé la gestion des diverses épargnes et notre actif aurait cru et fondu suivant les aléas du marché et de notre aversion ou de notre goût du risque. Les artisans de la révolution tranquille ont plutôt choisi de centraliser cette épargne et d'en faire un levier de développement. Dans un premier temps la « province du Québec » a pu s'émanciper de sa dépendance sur la finance privée, encore très « british » de Bay Street. Par la suite des sociétés d'État, tel qu'Hydro-Québec, purent financer de vastes projets de développement d'infrastructures productives publiques.

Nous sommes de nouveau confrontés à des défis économiques cruciaux pour notre avenir. D'un côté, tous prêchent pour une relance d'un modèle économique en crise qui a montré ses limites sur les plans sociaux: inégalités, endettement, surconsommation, infrastructures publiques délabrées. De l'autre côté, nous sommes confrontés à une crise écologique de plus en plus palpable qui remet en question l'idée même d'une relance par la croissance de la consommation. Plusieurs analystes plaident pour un plan de sortie de crise qui réorienterait significativement le développement de nos économies vers un modèle plus écologique, moins dépendant sur les marchés internationaux et plus solidaire. La Caisse, tant le poids de son actif que l'imagination et la créativité de ses travailleurs, pourrait être mise au service de ce projet de sortie de crise. Et, je suis certain que de miser sur le développement de notre souveraineté économique rapportera à long terme les rendements nécessaires au maintient de la croissance responsable et réaliste de nos épargnes collectifs.

January 16, 2009

PPP: la fin de la récréation Me Forget

On a appris hier que le projet de PPP pour le CHUM était en péril dans la mesure où l'entreprise en charge du montage financier pour l'un des deux consortiums retenus connaît de graves difficultés financières. Un mois plutôt c'est le PPP projet de la salle de l'OSM qui était mis en péril par la détérioration des conditions de financement. Nous sommes en pleine crise financière, celle-ci se manifeste sous la forme d'un resserrement inédit du crédit, seul les créances les plus solides trouveront preneurs dans les circonstances actuelles. Pour quelques années à venir le temps de la finance privée est révolue. 
Dans ce contexte il est tout à fait angélique de penser que des projets d'infrastructures en mode PPP trouveront des solutions de financement sans anicroches importantes. Si nous devons dépenser en projets infrastructures pour maintenir à flot l'économie, nous ne pouvons plus nous permettre de nous fier aux marchés privés pour financer ces projets. Il faut que tout les projets en mode PPP soient immédiatement convertis en projets à financement conventionnel pour au moins deux raisons.
1. pour garantir que les projets iront de l'avant dans des délais raisonnables;
2. parce que les marchés ont besoin actuellement de titres sûrs tel que les obligations publiques des provinces, municipalités et sociétés parapubliques.

D'ici là, il faut que la ministre des finances ait l'honnêteté et la transparence d'éliminer du montant qu'elle annonce dépenser en infrastructure les sommes qui sont rattachés aux projets en mode PPP afin que nous ayons le portrait réel du plan libéral de stimulus économique.

January 15, 2009

Infrastructures: triple conditonnalité

Comme on le sait, tous les gouvernements fédéraux, provincaux et munipaux seront contraints dans les mois à venir de dépenser comme jamais auparavent pour tenter de maintenir à flot notre économie. La gauche et les écologistes ont fait valoir leurs priorités en terme de projets d'infrastructures, je crois qu'on doit et peut aller beaucoup plus loin. Les montants dépensés dans les mois à venir représenteront un niveau d'intervention politique dans l'économie jamais vu depuis les années 1940. C'est une occasion incontournable pour transformer sa structure. De manière préliminaire voici une première proposition: la tripe conditionnalité.
Tout projet d'infrastructure doit répondre aux conditions suivantes:
1. un critère écologique: le projet doit participer non pas seulement à la réduction des impacts environnementaux mais par son design et sa mise en oeuvre contribuer positivement à l'environnement de l'espace où il sera implanté et doit favoriser le développement de technologies et procédés de production verts
2. un critère d'intégration à l'économie québécoise sur une base solidaire: le projet doit prioriser la valorisation et l'utilisation de produits québécois et il faut penser un mécanisme de financement qui varie à la hausse avec le degrée de transformation local/régional/national du produit dans des contextes de production et de mises en oeuvre socialement acceptables;
3. un critère de proximité sociale: le projet doit par sa mise en oeuvre et son fonctionnement favoriser l'appropriation locale, non seulement de l'infrastructure par sa nationalisation ou municipalisation, mais des savoirs, techniques et matériaux nécessaires à son fonctionnement et maintien. 

à suivre.

Tout ça pour dire qu'il faut en faire beaucoup plus que tout simplement exiger une rénovation de notre "parc d'infrastructures sociales" une gauche qui s'en tient qu'à cela renonce à son pouvoir de transformation de la société !

January 14, 2009

Crédit d'impôt pour rénovation: une occasion ratée

Le seul aspect de l'énoncé économique qui semble recevoir un accueil positif est le programme de rénovation et d'amélioration résidentielle. Selon le communiqué du gouvernement:
"Un crédit d’impôt remboursable pour la rénovation et l’amélioration résidentielles au taux
de 20 % et d’un maximum de 2 500 $, contribuant à maintenir les emplois de
25 000 travailleurs dans l’industrie de la construction et permettant de créer
2 000 nouveaux emplois dans ce secteur".
Mais attention aux détails, selon Radio-Canada il faut dépenser au moins 7500 $, car ce n'est que le 7501 ième dollar qui est éligible à un remboursement de 20 cent.

Évidemment pas de conditionnalité en terme de rénovation écologique ou d'achat de produits québécois.

January 12, 2009

Le resserrement continu


Deux enquètes de la Banque du Canada confirme l'ampleur de la crise de crédit. Voici dans le Report on business un résumé des faits.

Je me permet de réactualiser un texte sur les étapes et mécanismes qui mènent de la crise du crédit à un cycle à caractère dépressif.


De la crise financière à la crise structurelle du capitalisme financiarisé

Au Canada ainsi qu'au Québec, bien que notre secteur manufacturier soit en pièces, nous ne ressentons pas encore la pleine ampleur du choc engendré par la crise, à entendre nos dirigeants et leurs conseillers économiques le pire de la crise est passé sans trop nous avoir affecté.

De te fabula narratur, le processus de déflation financière commence ici à peine son travail et ses assises sont profondes. Voici en quelques lignes les étapes et mécanismes mis en mouvement par et dans cette crise1.

1.Il est important de rappeler que l'origine de la crise, en août 2007, est dans un segment très particulier et fondamental des marchés financiers, le marché du crédit interbancaire, le tuyau par lesquels toutes les transactions financières et monétaires sont contraints de passer ! Cet effondrement soudain du crédit interbancaire continue à être le moteur du procès contradictoire qui se déroule sous nos yeux. À la fin de l'été 2007 la crise du crédit interbancaire éclate simultanément en Europe (Paris et Londres), aux États-Unis et au Canada quand les grandes banques commerciales et d'investissement sont saisi d'un doute fondamental et d'une incertitude radicale quant à la valeur d'une classe d'actif au coeur de la pratique financière récente, les produits de la « titrisation ». Prendre un prêt, une créance, et en faire une marchandise, la lancée en circulation telle une patate chaude, telle est la logique de base de la titrisation. Dériver de cette première métamorphose d'une dette en actif une série d'actifs financiers complémentaires (les fameux produits dérivés) et finalement remballer le tout en de nouveaux titres complexes et opaques et vous avez le marché de ce qui a été connu ici au Canada comme le « PCAA » (papier commercial adossé à des actifs).

Ce marché était utilisé par les banques et autres entreprises financières pour titriser des créances (métamorphoser des prêts en titres échangeables) ainsi que comme véhicule de placement à court terme relativement rentable. Quand le monde bancaire perd confiance en ce marché deux choses arrivent simultanément. Malgré leurs bilans solides, les banques perdent la source de financement que représentait la marché des titres adossés à leurs actifs qui leurs permettaient de maintenir un niveau élevé de crédit aux entreprises et aux particuliers en le titrisant, de plus elles ne font plus confiance aux bilans de leur contreparties qu'elles croient potentiellement infecté de créances toxiques, le crédit interbancaire s'assèche aussi.

2. Le resserrement du crédit interbancaire amène les banques à restreindre le crédit aux entreprises et aux ménages et ce malgré des baisses significatives et continues des taux directeurs des banques centrales. Les entreprises réagissent en diminuant ou reportant leurs investissements, elles font des mises à pied pour diminuer leur niveaux de production. Or la diminution/report d’investissements des uns se traduit en baisse de la production/de l’emploi des autres.

4. Les ménages perdent confiance en l'économie, perdent des revenus, perdent des emplois et constatent un diminution de la valeur nominale de leurs actifs financiers et immobiliers tandis que ce maintiennent leurs coûts de financement. Cela a plusieurs conséquences. La plus évidente est une baisse probable de la consommation causée par cette perte de confiance qui va s'ajouter comme pression supplémentaire sur les revenus des entreprises déjà en baisse. Cette boucle classique nous la connaissons. Par contre, nous connaissons mal l'effet multiplicateur qu'aura la restriction du crédit à la consommation sur la croissance. Et, finalement, nous n'avons pas d'idée précise de l'effet sur le système bancaire, de l'augmentation des faillites de ménages et des entreprises ainsi que la progression des retards de paiement de créances qui seront engendrés par la fragilisation des revenus des ménages. Nous savons que cette boucle ne peut qu'amplifier le resserrement de crédit et la soif des banques pour des liquidités.

5. À cela il faut ajouter les effets du retournement du marché immobilier résidentiel. L'inflation de la valeur du patrimoine immobilier fut utilisé comme levier de crédit par les ménages, en même temps que la facilité avec laquelle les banques pouvait titriser leurs portefeuilles d'hypothèques - et donc ouvrir de nouveaux prêts - nourrissait l'expansion de la valeur de ces d'actifs. Ce bouclage positif, mais effectivement vicieux, entre titrisation, expansion de la valeur des actifs immobiliers et utilisation par les ménages de ceux-ci comme levier d'endettement à la consommation, se retourne en boucle négative où le poids de l'endettement des ménages conjugués à la stagnation, voire la baisse de la valeur de leurs résidences, a un effet dépressif sur leur consommation et fragilise les banques détentrices, par delà la titrisation du risque ultime de défaut de paiement.

6.Pour conclure, il faut ajouter à l'analyse de ces mécanismes l'effet de la dynamique boursière. Contrairement à la crise de 1929 ou à celle de 1987, les places boursières, le TSX, le New York Stock Exchange, ne sont pas à l'avant plan de cette crise qui a pour origine le marché interbancaire. Au contraire, ces bourses enregistrent « après coup » ces développements et les amplifient. Elles ont été fortement ébranlées par la disparition d'une classe d'acteurs structurant: les grandes banques d’investissement. La lente l'implosion des valeurs engendre un phénomène qui multiplie l'effet de la crise de trois manières inter-reliées. Premièrement, les ménages qui ont des placements significatifs directs ou indirects (fonds) en bourse vont voir leur patrimoine baisser de valeur. L'impact de cet effet de richesse inversé est largement inconnu mais sera négatif. À cela il faut ajouter l'effet plus significatif d'une érosion possible de la base de capitalisation des entreprises cotées en bourse, qui ne pourront pas se recapitaliser si le prix de leurs actions baisse trop abruptement, d'autant plus que ces mouvements peuvent s'emballer sans raisons fondamentales. Cela peut s'avérer désastreux pour certaines d'entre elles, en particulier les banques, qui sont actuellement à la recherche de fonds propres et envisage d'émettre des nouvelles actions. Finalement, les engagements des grandes entreprises envers les caisses de retraite à prestations déterminées risquent d'agir comme un poids supplémentaire limitant l'expansion de leurs activités.

January 9, 2009

Le TED spread


Ayant 1929 en tête, nous nous sommes habitués à considérer l'évolution des indices boursiers comme signe du développement de la crise financière. C'est une erreur, les bourses sont actuellement à la remorque (voir cette analyse précédente) des développements plutôt qu'au devant, quoique en dise les Jeff Rubin de ce monde.
L'indicateur le plus fiable pour observer est, selon plusieurs observateurs, le "TED spread" . Il mesure, à sa manière, le resserrement de crédit bancaire qui a déclenché la crise actuelle et qui agit toujours comme moteur de son développement.

Cet indicateur représente l'écart de taux d'intérêt entre des titres courts émis par le trésor américain (3 mois) et les prêts interbancaires à 90 jours en dollars américains. C'est-à-dire qu'il exprime le degrée de confiance que les banques se font entre elles.

Voici un lien où vous pouvez l'observer par vous même
.

Sur une période de cinq an voici, ci-haut, l'évolution de cet indicateur, les pointes représentent des moments où ce crédit s'est littéralement évaporé. On remarquera qu'il se situe toujours à un niveau deux fois plus elévé au début de 2009 que pendant la période qui précèda la crise.

Les prédictions du Dr Pangloss

“The bad news is that we are in a recession, and a fairly deep one at that. The good news is that the stock market has already discounted a depression,” said Jeff Rubin, CIBC World Markets chief economist and chief strategist. “That's why no matter how severe the recent non-farm payroll losses are, the stock market soon shrugs it off.”
(...)

“Stocks can only cheer as businesses and households will be force-fed stimulus money from governments that will no longer care about deficits,” he said. “With the market having set the bar so low insofar as the economy is concerned, the slightest pulse in second-half growth should send the TSX climbing to 11,000 by year-end.”

(...)

He also predicted that oil prices should rebound, along with the markets.

“If $40-50 per barrel is the price of oil in a deep global recession, it shouldn't be too hard to figure out why our portfolio is four points overweight energy stocks,” Mr. Rubin said.

Tiré du Globe, qui vient tout juste d'annoncer la mise à pied de 10% de ses employés !

La puissance de la rationalité de la bourse m'étonnera toujours.

En passant, le prix du baril est passé sous la bar des 40$ cette après-midi..., désolé Jeff.

January 7, 2009

La crise et l'économie politique de l'overclass: un cas de thérapie de shock ?

"The upcoming federal budget needs immediate, permanent tax cuts to stimulate the Canadian economy, to be offset by tightening the reins on program spending in future years, several of Canada's top private-sector economists recommended Wednesday."
Report on Business

Toujours sans gène les économistes des grandes banques canadiennes plaident en pleine crise économique pour une combinaison de baisses d'impôt et de réduction des dépenses publiques comme un des éléments centraux d'un éventuel plan de relance. Faisant écho à Flaherty, s'ils reconnaissent la nécessité d'investir dans des projets d'infrastructure, l'emphase, selon eux, devrait être mise sur des baisses d'impôts permanentes.

Évidemment, font-ils remarquer, une telle mesure engendrerait un manque à gagner structurel dans les coffres de l'État et donc la solution qui s'impose ? Couper dans les dépenses de programme, qui selon nos banquiers augmentent, depuis 10 ans, à une vitesse démesurée car légèrement supérieure au taux de croissance du PIB.

Aucune mention du fait que cette progression des dépenses depuis dix ans (1998 - 2008) n'est en fait qu'un rattrapage nécessaire et d'ailleurs minimal de l'intervention de l'État après les coupures désastreuses des années 90 dans le cadre de la lutte au déficit. Nos dépenses publics / PIB sont encore largement inférieures au niveau moyen de l'OCDE et largement en deça des besoins de base d'une société décente. Pourquoi devons nous investir massivement en infrastructures actuellement ? Parce que nous n'avions pas les budgets pour les entretenir pendant la période de croissance néolibérale.

Et les baisses d'impôt personnel souhaitées ? Je n'ai pas de détails, mais il n'y a pas beaucoup d'options. Soit on baisse les taxes à la consommation de manière significative c'est-à-dire la TPS, cette baisse doit être significative pour avoir un impact économique, c'est-à-dire faire une impression psychologique sur les ménages pour qu'ils s'engagent dans une nouvelle ronde de surconsommation. Je doute que Flaherty envisage de baisser la TPS au chiffre symbolique de 3, 2, voire 1%. Et, comme plusieurs l'on souligné, une baisse des taxes de vente stimule autant si non plus l'achat de produits importés que de produits nord-américains. Donc l'effet de relance est mitigé.
Baisse de l'impôt sur les revenus, certainement, mais lesquels ?
On va certainement en profiter pour élargir les abris fiscaux liés au gain de capitaux et autres gain financiers, prétextant d'alléger le fardeau des ménages sur le seuil de la retraite ou des retraités. On va certainement en profiter pour alléger le fardeau fiscal des 10% les plus riches qui contribuent près de 50% de l'impôt sur le revenu, désolidarisants les plus riches de cette catégorie encore un peu plus du sort du reste de la société...
Car les heureux qui se compte parmi les 1% les plus riches (en terme de revenus) sortirons les grands gagnants d'une telle "relance", ce sont eux qui détiennent la plus grande part d'actifs financiers et ce sont eux qui bénéficirons le plus d'une baisse générale du taux d'imposition.

Bref, l'économie politique de l'overclass face à cette crise semble de plus en plus clair, d'un côté les ménages ordinaires doivent assainir leurs bilans et rétablir leur taux d'épargne, dixit Jacques Ménard du groupe BMO, dans la Presse du 28 novembre, des baisses d'impôt significatives et permanentes pour les plus riches afin de consolider le programme néolibéral de réduction de l'impôt que paie l'overclass an Amérique du Nord entrepris depuis 20 ans et finalement réduction des dépenses de l'État en programmes de manière à limiter encore plus l'emprise du publique sur l'économie et limiter encore plus les services destinés aux ménages salariés ordinaires.

Somme nous devant un cas de "Shock therapy" ?

Un retour à l'interdiction de l'Usure ?


En guise de réponse à nos banquiers je propose la mesure suivante: un rétablissement au Canada de la loi sur "l'usure". Le taux maximum qu'une institution financière peut charger à un emprunteur devrait être fixé sous la forme d'un écart par rapport au taux directeur de la banque centrale, et cet écart devrait être, compte tenu de la crise, fixé pour les personnes physique à 10%. Un taux supérieur serait fixé pour les personnes morales, c'est-à-dire les entreprises. Et pourquoi pas, une gamme de taux pourraient être fixés en fonction de différent types de prêts, toujours en fonction d'un objectif politique. Une telle "loi sur l'usure" pourrait en fait devenir une politique de "crédit dirigé" (mesures populaires dans les années 60 - 70 dans les pays en voie de développement et honni par le FMI) et un levier important de transformation politique de l'économie.

Pourquoi une telle mesure ?

1. parce que, j'oubliais de le dire plus haut, les banques demandent aussi que la Banque du Canada baisse plus drastiquement son taux directeur, or comme vous le savez les baisses de cet automne ne se sont pas traduites par des meilleurs conditions de crédit pour les particuliers et les entreprises, et les baisses souhaitées ne le seront pas non plus. C'est donc à l'État de lier son taux directeur aux conditions de crédit via un plafond imposé aux banques.

2. parce que si le problème est le taux d'endettement excessif des ménages ordinaires la seule façon de réduire ce taux sans causer un effet dépressif sur la demande est de diminuer le fardeau du financement. Outre augmenter les salaires, cela peut se faire par le biais d'une bonne vieille envolée inflationniste, deux scénarios peu probables actuellement, ou par le biais d'une baisse des taux d'intérêt, ce qui permet un remboursement plus rapide du capital et donc une progression du taux d'épargne.

3. les économistes de l'overclass réponderont que cela incitera les ménages ordinaires à se lancer de nouveau dans une course à l'endettement insoutenable. Évidemment quand les salaires stagne et on fait miroité des nouveaux objets de consommation afin de garantir un taux de profit la tentation est là. Un jour il va falloir trancher ! Mais d'ici là je crois qu'on peut compter sur les banques pour qu'elles continuent, tant que perdure la crise, à rationner le crédit et donc à limiter l'offre de crédit.

4. ils ajouteront qu'une telle politique de crédit dirigée aurait pour effet de faire fuire les banques et institutions financières étrangèrent et d'allonger le rationnement de crédit en plus d'avoir un impact désastreux sur leurs profits.
À cela on peu répondre, rapidement, car une vrai réponse demanderait plus d'élaboration:
a) la fuite des Citigroup, HSBC et autre MBNA du marché du crédit hypothécaire et du crédit à la consommation est déjà bien entammée, en plus cela laissera aux banques domestiques la possibilité d'augmenter leurs parts de marché perdues;
b) l'écart de taux de crédit fixé par une loi sur l'Usure viserait à minimiser la possibilité d'empirer le rationnement de crédit;
c) moins de 50% des revenus des banques proviennent de l'intérêt sur les prêts aux particuliers, la loi sur l'usure risque tout simplement de transformer leurs "surprofits" en profits.

Par contre, une telle mesure risque d'affecter sensiblement le marché de la titrisation de ces prêts en diminuant le taux de rentabilité de ces actifs et surtout des activités très lucratives liées à la titrisation, mais compte tenu du rôle de ce marché dans la crise, est-ce un si grand mal de voir celui-ci disparaître et les banques contraintes d'assumer pleinement leur rôle de créancières ?