February 25, 2009

Pertes à la caisse

Dans les suites de l'analyse publiée dans le Devoir et ici sur le blogue, il est à noter que les pertes annoncées par la Caisse aujourd'hui sous estimes fort probablement les rendements négatifs en surévaluant de manière trop optimiste la valeur des PCAA que la caisse détient encore.
Voir cette analyse dans le Report on business.

February 23, 2009

Vente de territoires forestiers par AbitibiBowater : entre liquidité financière et réappropriation de la rente forestière.

Les failles du modèle "classique" de développement économique de la forêt au Québec, un modèle dépendant des structures continentalisées et massifiées des grandes corporations transnationales, ne cessent de s'approfondir, de s'allonger et de rétroagir entre elles. Comme les autres grandes compagnies forestières opérant au Québec et au Canada, AbitibiBowater traverse actuellement une crise de liquidité et de solvabilité, crise qu'elle a elle-même contribué à produire en poussant un modèle de croissance au bout de ses conséquences pratiques. La dernière période de consolidation, initiée en pleine effervescence boursière à partir de la fin des années 1990, a accouché en 2007 d'un Béhémoth nommé AbitibiBowater, incorporé aux États-Unis et piloté depuis Montréal, qui peine aujourd'hui à justifier ses pesanteurs industrielles auprès des acteurs d'un système financier cumulant les dysfonctionnements. AbitibiBowater opère dans un marché de produits forestiers qui s'est effondré, gère des installations industrielles dont les seuils minimum de rentabilité sont évalués à l'échelle globale, et traîne actuellement une dette de 6,2 milliards $, ce qui, n'en doutons-pas, détermine une grande part des discussions lors des business meetings et n'a rien pour rendre sexy la cote de cet éléphant aux yeux des analystes financiers. Cette décote devient très concrète lorsqu'un prêt de 350 millions $ doit être refinancé au mois de mars prochain, et qu'environ 1 milliard $ en prêts doit avoir été remboursé ou refinancé à la fin de l'été qui vient.

Cette crise de solvabilité, qui est le "symptôme" d'une crise du modèle, la haute direction de la compagnie s'efforce actuellement de la gérer en se départissant d'actifs dotés d'une très bonne liquidité. C'est le cas des barrages hydro-électriques que la compagnie compte parmi ses actifs dans au moins trois provinces canadiennes - Québec, Ontario et Terre-Neuve (quoique dans cette dernière, la province en revendique la propriété), mais c'est aussi le cas des territoires forestiers. Si des actifs comme des barrages se vendent actuellement à fort prix sur le marché nord-américain de l'énergie, il en est de même pour les terres forestières, qui constituent une sorte de valeur-refuge en période de crise, et sur la base de laquelle certaines organisations - notamment financières - sont susceptibles d'élaborer une stratégie de capitalisation.

Après avoir annoncé le projet d'une première ronde de vente de barrages au cours des derniers mois, dont des installations ontariennes qui projetaient être vendues au fonds de placement Brookfield Asset Management pour la somme de 200 millions $, AbitibiBowater a indiqué, vendredi le 20 février 2009, qu'elle avait conclu la vente de trois grands territoires forestiers sous aménagement (seigneuries Perthuis en Mauricie, Nicolas Riou et Lac Mitis dans le Bas-St-Laurent) totalisant près de 76 000 hectares. Du coup, la compagnie allait chercher 70 millions $ au comptant supplémentaires, lui permettant d'augmenter ses fonds disponibles pour le refinancement du prêt arrivant à échéance après demain. Un peu d'oxygène, pour le moment.

Avant d'être vendus à Solifor, une société en commandite du Fonds de solidarité de la FTQ, ces lots forestiers avaient fait l'objet d'une proposition d'achat de la part des élus du Bas-St-Laurent. Ayant mobilisé la plupart des leviers financiers régionaux, ces élus ont demandé à ce que le gouvernement du Québec - par le biais de la SGF - s'implique lui aussi dans cette transaction importante, qui aurait permis de mettre sous gestion publique régionale ces "actifs" extraordinaires que sont les seigneuries Nicolas Riou et Lac Mitis. Il se trouve que durant près de 15 ans, ces territoires ont servi de base expérimentale pour le développement d'un modèle alternatif de foresterie, le métayage forestier, modèle encadré par le gouvernement fédéral qui a atteint, voire même dépassé toutes les attentes que l'industrie, les collectivités locales et les gouvernements nourrissaient à son égard. Or, cette expérience, peut-être trop concluante aux yeux de certains, a été arrêtée. Et le projet d'une re-collectivisation des seigneuries, proposé par les MRC de Rimouski-Neigette et de La Mitis, et fort de l'expérience passée du métayage, a été refusé. Offre trop peu intéressante, battue par une autre ? Peut-être. À défaut d'être réencastrés dans le tissu économique de la région, ces lots ont néanmoins été acquis par un fonds québécois, peut-être davantage préoccupé des aspects économiques et écologiques à long terme du développement forestier :

« La crainte que les gens de la région avaient c'est que des territoires en plein milieu de notre région tombent sous intérêts ontariens ou américains. Alors, là, ce sont des Québécois qui ont acquis ces territoires-là. Je ne pense pas que le Fonds de solidarité a l'habitude de laisser dormir ses investissements », a soutenu Richard Savard, responsable du dossier forestier à la Conférence régionale des élus du Bas-Saint-Laurent.

Mais il faudra voir et analyser de près les projets d'affaires avancés par Solifor. Dans le cas de la seigneurie Perthuis en Mauricie, le Fonds de la FTQ s'est lancé dans un joint venture avec la Scierie Dion & fils, une scierie locale. Reste à voir ce qui se passera dans le Bas-du-fleuve, quelle formule sera mise à l'épreuve. Entre le mandat d'un développement économique respectueux des formes de vie, et celui d'un rendement financier supérieur, le Fonds d'investissement de la FTQ reste une organisation financière susceptible de faire des choix contradictoires.

À bien voir l'histoire économique du Québec et du Canada, on remarquera aisément qu'un modèle en crise ne signifie pas pour autant un modèle dépassé ou radicalement transformé. On peut assister à l'émergence d'un modèle rénové, comme cela est le cas au Québec depuis déjà longtemps. Mais cette crise du modèle continentalisé ouvre de nouvelles possibilités pour en faire advenir un nouveau, davantage respectueux de la vie économique et écologique des territoires. La mise en vente de ces lots forestiers, d'une richesse qualitative et d'une valeur à long terme extraordinaire pour la région et le Québec, aurait en effet été une occasion pour les communautés locale, régionale et nationale d'asseoir leurs bases de développement, notamment en élaborant des formules socio-économiques permettant aux collectivités forestières de se réapproprier une grande part de la rente forestière. Disons plutôt, pour tenter de conjurer le retour du même, qu'il s'agit ici d'une répétition générale, et que tout reste ouvert pour une nouvelle économie politique forestière.

February 20, 2009

Il faut fermer le programme de PPP

André Noël de la Presse a révélé hier que l'ampleur des effets de la crise sur les projets de PPP du gouvernement Charest. Le projet du CHUM est particulièrement affecté, les firmes chargées de l'ingénérie financière de chaque consortium connaissent des difficultés financières extrêmes qui pourraient les amener à la faillite. La politique de développement des infrastructures via la formule PPP manifeste ici toute ses limites.
Les projets en infrastructure sont des éléments centraux des politiques de relance, or ici au Québec une partie significative de ces projets ont été enfermé dans le processus PPP. Manifestement, il ne verront pas le jour tant que dure la crise et le resserrement de crédit. Les dépenses que nous devons faire aujourd'hui pour relancer notre économie et en particulier soutenir le secteur de la construction durement touché par la crise ne peuvent pas attendre le redressement du système financier international.
Le gouvernement du Québec devrait être contraint d'adopter les mesures suivantes:

1. la ministre des finances doit répertorier tout les projets de PPP dont le financement ou dont le processus de soumission ne sont pas finalisés.

2. les montants associés à ces projets doivent être soustrait du montant global que la ministre a déclaré en janvier dépenser pour stimuler et relancer l'économie québécoise.

3. une politique de reconversion des projets majeures en PPP vers des projets publics doit être mise sur pied afin que ceux-ci puissent démarrer le plus rapidement possible. Cette politique doit combiner les éléments suivants:
  • intégration dans la gestion sur un mode conventionnel de certains mécanismes de partage du risque entre constructeurs et promoteur public;
  • adoptotion de mécanismes et pratiques de contrôle des coûts et surtout de gestion selon les coût rééls plutôt que selon des chiffres sous-estimés;
  • financement du projet par le biais d'une émission d'obligations publiques vendus en priorité aux investisseurs institutionnels québécois.
4. reviser le mandat de l'Agence des PPP afin d'exclure tout les projets d'une envergure importante ainsi que tout projet dans le domaine des services publics essentiels (santé, éducation, transport), enlever du mandat de l'agence l'objectif de promotion des PPP et le remplacer par un mandat d'évaluation et de vérification des projets en fonction d'un audit financier et social.

February 10, 2009

Bas de laine, pécule pour spéculer ou levier de développement ?

Que faire de la Caisse de dépôt et de placement en un temps de crise?

Texte soumis au Devoir
Perte de 38 milliards, la somme est vertigineuse. Rumeur de mise à pied de 7 des 11 cadres dirigeants de l'institution, la réponse l'est tout autant. Qu'est-ce qui s'est passé à la Caisse de dépôt et de placement du Québec ? En 2004, le gouvernement Charest, réagissant à ce qui était perçu comme de l'ingérence politique dans l'activité de la Caisse et à la mauvaise gouvernance qui en résultait, a revu et corrigé le mandat de l'institution en lui demandant une chose: rendement, rendement et rendement. Le syllogisme de l'efficience des marchés financiers adopté par Henri Paul Rousseau reprenait une idée véhiculée aux État Unis sur GM dans les années '50 : en ces temps là « ce qui était bon pour GM était bon pour l'Amérique ». Ici, ce qui est bon pour les rendements financiers est bon pour le développement économique du Québec.

La Caisse s'est donc lancée tête baissée dans l'innovation financière. De brillants et ambitieux jeunes cerveaux se sont dépassés dans les projets d'ingénierie financière. Toute l'imagination et la créativité de l'organisation furent mobilisées par une culture de l'activité spéculative. Résultats, en 2007, 40% des rendements de la Caisse proviennent de l'arbitrage sur le marché des changes. La Caisse mise gros et gagne suite à sa gageure sur la volatilité de la valeur du dollar canadien sur les marchés à terme. Une volatilité qu'elle contribue, il faut le dire, à provoquer. C'est donc complètement faux de maintenir que la Caisse est un investisseur « patient ». Rien n'est plus court termiste que la spéculation sur le change mais ce n'est qu'un des segments des nouveaux marchés où elle agit. La Caisse, comme beaucoup d'autres fonds, participe activement dans le mouvement de financiarisation de l'économie qui, selon plusieurs, a préparé le terrain à la crise économique actuelle. Il faut rappeler que la Caisse demeure de loin un des plus importants acteurs financiers sur les marchés canadiens. Elle peut, compte tenu de son poids, difficilement empêcher que ses actions deviennent structurantes.

Problème de gouvernance ou nouveau mandat interventionniste ?

Les pertes de 38 milliards sont associées à la participation de la Caisse au marché des PCAA, papier commercial adossé à des actifs. Ce marché était au coeur du mécanisme de titrisation des créances de consommateurs américains et canadiens. Essentiel au maintient de la croissance depuis une décennie, il permit l'expansion de l'endettement des ménages salariés à des niveaux inédits dans l'histoire économique moderne et « l'intoxication » des marchés par les fameux hypothèques subprimes. On associe actuellement les pertes de la Caisse à un problème de gouvernance ». Elle est une fois de plus hantée par le spectre de la mauvaise gestion. Nous croyons plutôt que la Caisse a agit conformément à son nouveau mandat qui finalement s'avère tout aussi interventionniste que son mandat précédent. La Caisse ne joue pas un rôle passif ou secondaire dans le développement du marché des créances titrisées au Canada. Marché qui connaît un essor spectaculaire à partir du milieu des années 1990 et un second souffle à compté de 2004, moment où la Caisse se lance sérieusement dans ce segment des marchés monétaires. (voir à ce sujet le graphique ci-dessus)

Il est important de rappeler qu’en 2007 au Canada, lors de l’éclatement de la crise du crédit qui a mené à la crise économique que nous connaissons, les acteurs du marché du papier commercial se sont retrouvés à Montréal dans les bureaux de la Caisse pour tenter, en vain, de trouver une solution à l'effondrement de ce secteur des marchés financiers et monétaires. La Caisse était perçue par tous les acteurs comme la « « Market Maker » des PCAA, la teneur de marché, l'acheteur en dernier recours. Pourquoi la Caisse est-elle devenue un joueur central au point où presque 25% des PCAA lui appartenait ?

Depuis que la Caisse fait de la recherche de rendements élevés son seul objectif, elle a mis en place, comme plusieurs autres institutions financières, des dispositifs incitatifs internes, essentiellement des primes aux rendements à court terme qui renforcent une culture de la spéculation dans l'organisation. La mesure de rendements dans le milieu financier contemporain est relativement simple. Pour être récompensé, il faut « faire mieux que le marché » (beat the market), que l'on mesure par l'écart positif (ou négatif) du rendement des placements d'un gestionnaire par rapport aux rendement moyen de placements similaires. À très court terme et à l'occasion, une bonne gageure, un bon calcul et l'accès à une information privilégiée permettent de « battre le marché », mais généralement la seule manière de s'écarter systématique du rendement moyen est de jouer sur le niveau de risque du portefeuille. Faire des placements plus risqués rapportent plus à court terme. Mais qu’en est-il du long et à moyen terme ? « J'aurai un boulot ailleurs », peut se dire le gestionnaire habitué de circuler d'une organisation à l'autre. La Caisse, sous Henri-Paul Rousseau, a diversifié ses stratégies de placements et a participé activement à l'innovation financière qui a caractérisé la période qui précéda la crise actuelle. Années après années, elle a « battu le marché » et la honte associée aux ratés de l'investissement plus ou moins rentable dans le Québec Inc et les entrepreneurs proches de la classe politique se sont fait oublier.

L'économie croit au rythme annuel de 2 à 4%, pourtant la Caisse rapporte presque bon an, mal an, un rendement supérieur à 10%. Quel génie ! 2007, le marché boursier stagne, le rendement des portefeuilles des grands investisseurs vacille. Malgré cela, la Caisse maintient le cap des rendements positifs. En 2008, elle se fait prendre à son propre jeu et essuie des pertes massives du marché qu'elle a contribué à mettre sur pied.

Bas de laine ou levier de développement ?

Il faut le rappeler, l'actif de la Caisse représente (pour le moment et à moins de nouvelles annonces désastreuses) 40% du Produit Intérieur Brut du Québec. Il a donc la possibilité de marquer profondément la structure et la dynamique de notre activité économique, comme en témoigne d'ailleurs l'appui de la Caisse au développement du marché de la titrisation au Canada. Ce qui démontre d'ailleurs que la tentative en 2004 de « neutraliser » l'impact politique de la Caisse était un leurre. Cantonner la Caisse dans un mandat de rendements financiers signifiait d’orienter son activité vers le développement d'une sphère financière de plus en plus spéculative, court termiste et vorace de rendements, sans égards à son impact sur l'économie réelle. Il faut d'ailleurs souligner que toute proportion gardée, les pertes associées à cette débâcle font paraître comme dérisoires les pertes associées à l'appui des projets douteux de Québec Inc pendant les années Scraire.

La Caisse dès son origine a été conçu pour être plus qu'un « bas de laine ». Elle est un outil d'intervention par delà les options partisanes, c’est-à-dire un outil de souveraineté économique. Si nous aurions voulu d’un bas de laine, il aurait suffit de mettre en concurrence plusieurs gestionnaires de fonds du Québec et de Bay Street en leur confiant une partie du magot de l'épargne institutionnalisée des Québécois. Le risque aurait été réparti. Des vérificateurs externes et des représentants du gouvernement auraient supervisé la gestion des diverses épargnes et notre actif aurait cru et fondu suivant les aléas du marché et de notre aversion ou de notre goût du risque. Les artisans de la révolution tranquille ont plutôt choisi de centraliser cette épargne et d'en faire un levier de développement. Dans un premier temps la « province du Québec » a pu s'émanciper de sa dépendance sur la finance privée, encore très « british » de Bay Street. Par la suite des sociétés d'État, tel qu'Hydro-Québec, purent financer de vastes projets de développement d'infrastructures productives publiques.

Nous sommes de nouveau confrontés à des défis économiques cruciaux pour notre avenir. D'un côté, tous prêchent pour une relance d'un modèle économique en crise qui a montré ses limites sur les plans sociaux: inégalités, endettement, surconsommation, infrastructures publiques délabrées. De l'autre côté, nous sommes confrontés à une crise écologique de plus en plus palpable qui remet en question l'idée même d'une relance par la croissance de la consommation. Plusieurs analystes plaident pour un plan de sortie de crise qui réorienterait significativement le développement de nos économies vers un modèle plus écologique, moins dépendant sur les marchés internationaux et plus solidaire. La Caisse, tant le poids de son actif que l'imagination et la créativité de ses travailleurs, pourrait être mise au service de ce projet de sortie de crise. Et, je suis certain que de miser sur le développement de notre souveraineté économique rapportera à long terme les rendements nécessaires au maintient de la croissance responsable et réaliste de nos épargnes collectifs.