Ceux qui espéraient voir la baisse importante du taux directeur de la banque du Canada se traduire en diminution du coût de leurs prêts hypothécaires, de leurs dettes d'études ou de celles finançant leur consommation courante furent déçu la semaine dernière. C'est en effet avec une certaine indignation mêlée d'incompréhension que les clients des grandes institutions financières canadiennes réalisèrent que celles-ci ne comptent pas suivre la banque centrale. Malgré l'injection depuis un an de plusieurs milliards en liquidités dans le système bancaire canadien, malgré le plan d'aide de 70 milliards annoncé à l'automne par le ministre Flaherty, et, maintenant, malgré le signal par la Banque du Canada qu'elle est prête à baisser son taux de manière dramatique pour soutenir l'économie, les conditions de crédit continuent de se resserrer pour les ménages et les entreprises au Canada. Que s'est-il passé ?
Une trappe à liquidité
La crise financière s'est maintenant transformée en crise économique. Nous sommes en récession depuis l'automne au Canada. Celle-ci diffère énormément des deux grandes récessions de 1981 et 1990 qui sont apparues dans le contexte d'une lutte contre une inflation. Grâce à l’action coordonnée des banques centrales, une augmentation importante des taux d’intérêts s'était traduite en ralentissement économique. La crise actuelle se déploie dans un contexte déflationniste: la valeur nominale des actifs financiers baisse; les taux d’intérêt sont déjà très bas, pour ne pas dire négatifs; des signes de déflation commencent à se manifester dans le secteur des biens de consommation. Cette dérive déflationniste pourrait se boucler sur elle-même en une sorte de cercle vicieux dépressif tel qu'a connu le Japon pendant les années 1990. Telle est, du moins, une des hypothèses défendue par l'économiste américain Paul Krugman. C'est le piège identifié par Keynes comme « trappe à liquidité », ou le désir de chacun d'assainir son bilan et de détenir des actifs liquides contribuent à l'instabilité générale et a un effet dépressif global (voir article plus bas).
Dans un tel scénario, l'ensemble des acteurs économiques vont s'engager dans une diminution de leurs activités et surtout remettre à plus tard leurs projets d'investissement, en même temps qu'ils s'engageront dans une recherche désespérée de liquidités. Les mesures envisagées à date pour répondre à la crise: la baisse des taux d'intérêts, les garanties de prêt, la recapitalisation de certaines grandes entreprises et institutions financières, sont nécessaires pour éviter un effondrement complet du système mais ne peuvent pas garantir une relance viable. L'accélération des dépenses publiques en infrastructures peuvent aussi aider à éviter le pire, mais les investissements publics annoncés à ce jour sont peut-être encore trop timides pour briser le cercle déflationniste/dépressif. Des baisses d'impôts auront un effet encore plus insignifiants dans la mesure où il s'agit de relancer la consommation de ceux qui en paient le moins, tout comme une diminution de l'imposition des entreprises ne les convaincra pas que leurs marchés sont tout-à-coup en expansion.
Les origines profondes de la crise
C'est pourtant les solutions qu'envisageait, avec optimisme, Jacques Ménard, président du conseil de BMO, dans La Presse du 28 Novembre (« Tout un lendemain de Veille »). En effet, la crise devait permettre d'assainir les bilans des ménages et des entreprises en occasionnant une augmentation du taux d'épargne. Cela garantirait à terme une reprise de la consommation au niveau connu pendant les deux dernières décennies. Il est important de le rappeler, la croissance en Amérique du Nord repose essentiellement sur le rythme de consommation des ménages auxquels nous participons au même titre que nos voisins du sud, du centre et de l'ouest. Or, Mr Ménard omet dans son scénario de tenir compte d'une réalité à l'origine de la crise actuelle. Le rôle de « consommateurs en dernier recours » des ménages nord américains s'est constitué dans un contexte de stagnation de leur salaires réels, c'est-à-dire que les revenus de la grande majorité des salariés n'ont pas progressé au même rythme que la croissance économique depuis les trente dernières années. Cela a, entre autres, permis aux entreprises d'engranger d'importants profits qu'ils ont investit dans les marchés financiers et maintenu sous forme liquide, au point où, en 10 ans, au Canada et aux États-Unis, le secteur des grandes entreprises était, jusqu'à l'orée de la crise, devenu globalement créditeur plutôt que débiteur. Les ménages ont pu jouer leur rôle de garant de la croissance uniquement par le biais d'une progression exponentielle de leur endettement. Une progression que l'inflation de leurs actifs immobiliers a temporairement voilé et que la titrisation par les banques de leurs dettes a, pendant un certain temps, donné un semblant de viabilité. Vouloir comme le souhaite Mr Ménard qu'ils continuent à jouer leur rôle économique de consommateurs en dernier recours en exigeant qu'ils adoptent des pratiques agressives d'épargne est profondément contradictoire et souligne à quel point la question de fond est tabou. Comme le soulignait Keynes il y a 70 ans, une économie ne peut pas croître si elle est clivée par d'importantes inégalités de revenus. Il va falloir éventuellement poser la question du niveau des salaires des ménages ordinaires et de la sécurité de leurs revenus si l'on souhaite rétablir une croissance qui passe par leur consommation et qui, en même temps, assainie leurs bilans et les dégagent d'un taux d'endettement important.
Plutôt que d'engouffrer nos efforts dans une trappe à liquidité, la crise actuelle devrait nous amener à revoir la répartition entre profit des entreprises et niveau des salaires ainsi que les mécanismes de marché qui creusent un fossé insoutenable entre les revenues stagnants de la majorité des salariés et l'explosion à la hausse des revenus d'une minorité auquel appartient Mr Ménard. Car tels sont, plutôt que la cupidité des uns et la négligence des autres, les facteurs à l'origine de la crise.
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